LES GALETS
"Après des années de pratique et d'observation, je me demande toujours pourquoi le galet provoque cet irrésistible besoin d'être saisi, soupesé, puis jeté au loin devant soi.
Ce matin, sur le rivage encore tranquille, débarquent les premières familles en visite à Etretat. Devant cette vaste étendue caillouteuse encadrée de falaises, les parents et leur marmaille ont d'abord un mouvement d'appréhension. Du moins ceux qui pensaient "aller à la plage" ; car cette plage là ne semble pas faite pour s'étendre, ni pour prendre paresseusement le soleil (bien souvent d'ailleurs, il n'y a pas de soleil). Etretat tient plutôt de l'expérience austère, comme la planche à clous du fakir. Après s'être extasiée devant la baie grandiose, la famille en goguette finit toutefois par descendre l'escalier qui relie la digue au rivage.
Or, dès qu'ils posent le pied sur ce tapis de pierres rondes, le premier réflexe des enfants - et spécialement des garçons - consiste à se pencher vers le sol, à saisir un galet puis à le balancer au loin. A ce jeu, les plus doués font valoir leur puissance et leur habileté. Mais cet instinct n'affecte pas seulement les sportifs, ni les amateurs de ricochets qui accomplissent de savantes figures et font rebondir le caillou entre les vaguelettes."
Extrait de "les pieds dans l'eau" Benoît Duteurtre - Gallimard - 2008